dimanche 20 janvier 2013

SaaS, what else ? Ou : comment toute une industrie s’est mise au marketing




Si vous interrogez un décideur au moment où il lance une consultation pour choisir une application logicielle, et que vous lui demandez s’il compte opter pour une offre On premise (résidentielle) ou SaaS*, il vous répondra probablement que ce n’est pas le problème. Ou, comme je l'ai entendu, que c'est un débat dépassé.



Ce qui lui importe, en premier lieu, c’est que l’application réponde à ses besoins. Ce qui signifie, dans son esprit, qu’elle dispose des fonctions nécessaires à son activité. En-deçà, il évoquera le prix, l’ergonomie, l’accompagnement proposé par l’éditeur ou son partenaire intégrateur. Autant de critères qui, selon lui, ne distinguent nullement une solution SaaS d’une offre On premise, puisque, n’est-ce pas, la différence est essentiellement technologique. Le SaaS, n’est-ce pas un logiciel accessible en ligne ?

Eh bien non, justement. Le SaaS, c’est bien plus que ça. C’est toute une industrie qui change de culture. Qui se met à faire du marketing. Du bon marketing, en plus ! Et ça marche : dans un marché du logiciel globalement en berne, la croissance prévue en 2013 pour le SaaS est de l’ordre de 25% (Forrester Research). Pour le CRM,  les ventes SaaS ont progressé de 30% en 2012, contre une baisse de 7% pour les solutions On premise. Désormais, une large majorité des éditeurs proposent une offre SaaS. Les plateformes d’aide au choix des solutions SaaS se multiplient, comme WeLoveSaaS, SaaS Guru ou Let it Cloud.  Elles contribuent à éduquer le marché et à expliquer en quoi et pourquoi le SaaS est bien plus qu’un choix technologique : de la valeur directement injectée dans l’entreprise.
Voici donc une tentative d’explication du phénomène. Pour illustrer la démonstration, je vais m’appuyer sur sur les solutions SaaS proposées par Eweb-Gestion, un progiciel de gestion intégrée (ERP) destiné aux indépendants, TPE et PME. eWeb-Gestion est un nouveau-venu sur le marché, puisqu’il a été lancé en janvier 2012. C’est un pure-player du SaaS qui a le mérite d’appliquer à la lettre les bonnes pratiques en la matière.

Ok, il y a bien un truc avec la technologie: elle permet/intensifie le lien direct entre l'éditeur et l'utilisateur

On définit habituellement le SaaS par deux grandes caractéristiques. La première est donc technologique : le logiciel est accessible via le web, au lieu d’être installé sur votre poste. C’est très avantageux : finies les installations interminables, finies aussi les incompatibilités entre deux versions différentes de la même solution. Ceux qui travaillent encore avec Word 97 et qui reçoivent des fichiers .docx savent de quoi je parle. Opter pour une solution SaaS veut dire s’affranchir, au moins partiellement, de la dépendance à un installateur/intégrateur. Désormais, la DSI est en relation avec l’éditeur, ce qui veut dire négocier les prix directement à l'usine. 

Mais inversement, l’éditeur a tout lieu de se satisfaire de la situation. Non seulement il parle de vive voix avec le service informatique du client, mais il est même en relation immédiate avec l’utilisateur final. La première source de valeur du SaaS est de réduire les intermédiaires entre producteur et consommateur. Évidemment, DSI et intégrateurs font un peu les frais du changement de modèle. De fait, la vie des grandes SSII n’a pas toujours été rose ces derniers mois. Il a fallu, il faut encore qu'elles-mêmes changent de modèle, qu'elles se rapprochent du conseil métier.






Le SaaS, c'est aussi un modèle économique plus avantageux dans certains cas



La seconde caractéristique du SaaS est financière : tandis que les solutions résidentielles sont le plus souvent achetées en une fois (et considérées comme des investissements de haut de bilan, à amortir en 3 à 5 ans), les solutions SaaS font l’objet d’un abonnement mensuel ou annuel, voire parfois d’une tarification ‘on demand’, à la consommation. Elles sont donc considérées comme des charges et prises en compte dans le compte de résultats. C'est une bonne chose si vous cherchez à diminuer votre résultat imposable. Une bonne chose aussi dans un environnement économique incertain, car l’abonnement est plus souple que l’acquisition.



Prix et technologie n'expliquent cependant que très partiellement le succès du SaaS



Agilité technologique et souplesse financière, voici donc les deux moteurs du SaaS. Vraiment ? Eh bien, je ne le crois pas. Rappelons-nous que le critère le plus important pour le décideur, c'est l'adéquation fonctionnelle. Ma solution de comptabilité prendra-t-elle bien en compte la dernière évolution règlementaire en vigueur ? Ma solution d'emailing peut-elle être facilement interfacée avec mon CRM ? 



Voilà ce qui préoccupe le décideur. Il peut accepter un prix élevé, ou une architecture technique lourde. Mais en aucun cas il ne veut se retrouver avec un système auquel il manque des fonctions essentielles à son métier ou à son organisation. Il ne veut pas non plus d'un produit si complexe que personne n’arrive à s’en servir. Et voilà ce qui, à mon sens, fait toute la différence: les offres SaaS sont exhaustives fonctionnellement, et simples à utiliser. 

Le SaaS doit avoir toutes les fonctions parce qu'il n'a pas le choix

Le premier mérite des offres SaaS est de viser à l’exhaustivité fonctionnelle. Deux raisons à cela.
  1. Leur évolution est beaucoup plus facile à contrôler. Imaginons qu’une nouvelle fonctionnalité importante voie le jour, liée à une nouvelle législation, ou à l’apparition d’une technologie innovante complémentaire au logiciel. Si celui-ci est résidentiel, il faut installer cette fonction sur chaque poste utilisateur, ou à tout le moins sur les serveurs de l’entreprise cliente. Mais si le logiciel est adapté à chaque client, via des développements spécifiques - ce qui n'est pas rare dans le modèle On premise -, la nouvelle fonction sera-t-elle compatible avec ces ajustements ? Il faut faire une étude, qui sera confiée à un intégrateur, lequel reviendra ensuite vers l’éditeur pour obtenir des développements complémentaires, différents dans chaque cas de figure. Autant de travail en plus pour l’éditeur, et de temps perdu pour le client final. Le modèle On premise favorise la personnalisation du logiciel pour chaque client, et c’est au prix de sa cohérence d'ensemble, et donc de son évolutivité. A l’inverse, comme l’écrit Bertrand Duperrin, la solution SaaS est la Ford-T de l’informatique, elle est disponible dans toutes les couleurs pourvu que ce soit noir. Cela oblige les éditeurs à livrer du all-inclusive, toutes fonctions inscritesdans le dur, ou de se spécialiser dans un domaine fonctionnel précis.
  2. Mais surtout, les solutions SaaS étant par définition construites au cœur du web, elles intègrent facilement toutes les innovations technologiques produites par l’e-écosystème. Pour une solution CRM comme eWeb-Gestion, logiciel en ligne pour la gestion commerciale, par exemple, il est beaucoup plus simple de proposer nativement l’envoi d’emails ou de fax directement depuis la fiche client. A comparer avec le bon vieux logiciel CRM construit au début des années 2000, en client-serveur, qui propose une synchronisation plus ou moins maîtrisée avec Outlook, laquelle demande l’installation (encore une) d’un utilitaire, lequel n’est pas toujours conforme à votre version Outlook… bref, n’en rajoutons pas.

Voilà pourquoi les éditeurs full SaaS se montrent généralement beaucoup plus inventifs et créatifs que leurs homologues résidentiels. Comme il leur est facile d’être complets, ils peuvent se permettre un luxe formidable : le superflu. C’est très rassurant pour un décideur, au moment où il choisit une solution, de savoir que non seulement on lui propose une offre complète et dont l’évolution est parfaitement maîtrisée, mais qu’en plus il pourra, s’il le souhaite, mettre en œuvre des fonctions optionnelles (quoique parfaitement intégrées) répondant à des besoins spécifiques.

SaaS, c'est simple


Cependant, l’atout principal des offres SaaS réside moins dans la cohérence fonctionnelle que dans la simplicité d’utilisation. Il y a quelques années, j’étais ingénieur commercial chargé de vendre des logiciels complexes comme SAP ou JD Edwards. Les démonstrations pouvaient durer jusqu’à trois jours. Non seulement les produits étaient d’une profondeur fonctionnelle vertigineuse, mais ils n’étaient pas conçus pour un usage simple. 

Je vais en donner un exemple de nature à décourager les lecteurs les plus motivés. Je suggère donc à celles et ceux qui n'ont pas d'aspirine à portée de main de passer directement au paragraphe suivant. Dans l’un des deux ERP cités ci-dessus, pour rattacher une facture à un bon de commande, il fallait fermer la facture, bien noter son numéro sous peine de ne plus la retrouver, puis aller dans le système de gestion des commandes (en espérant qu’on en avait le droit, faute de quoi il fallait demander à la DSI d’intervenir, ce qui pouvait prendre plusieurs jours), puis parcourir la liste des bons de commande reçus avec l’aide minimaliste d’un outil de recherche par mots-clés (mais si vous n’aviez pas l’orthographe exacte et complète du client, vous étiez bien embêtés) qui s’ouvrait dans une autre fenêtre, on se demande bien pourquoi, puis encore récupérer le numéro de commande, puis rouvrir le système de facturation (le logiciel vous avertissait alors, avec un message illisible, que ce n’était pas possible, et vous finissiez par comprendre que vous aviez oublié de fermer la gestion des commandes et que tant qu’elle serait ouverte vous ne pourriez pas ouvrir votre facture, et là aussi on se demande bien pourquoi), retrouver votre facture, rentrer le numéro de commande, compléter la facture et alors vous apercevoir avec horreur que vous aviez oublié la date de la commande, et qu’il allait falloir fermer cette facture sans pouvoir l’enregistrer pour revenir à la commande, en suivant la même démarche. Je regrette infiniment que la phrase précédente soit si indigeste. Sa longueur traduit le désarroi auquel vous pouviez être confrontés dans l’utilisation quotidienne d’un tel outil. Désarroi qui allait en augmentant quand, dans le cadre de votre travail, vous étiez amenés à vous déplacer régulièrement. Comme leur nom l’indique, les logiciels résidentiels sont installés dans le dur, sur votre poste de travail. Si vous vous éloignez, ils ne vous suivent pas...

Avec le SaaS, ce qui a changé, c’est que, comme nous l’avons dit plus haut, l’éditeur s’est rapproché de l’utilisateur. Désormais, quand l’utilisateur a un problème avec le logiciel, il n’appelle plus la DSI, qui appelle l’intégrateur, qui appelle l’éditeur. L’utilisateur prend directement contact avec l’éditeur, via le centre de support online. "Le SaaS est entré dans les entreprises par les métiers" note Cyril Meunier, baromètre de conjoncture logiciels et services Syntec Numérique / IDC, dans un article de Distributique.




Or, les éditeurs logiciels avaient jusque là une culture d’ingénieurs. Ils savaient créer des architectures produits et transformer un code informatique en fonction métier. Mais ils ne savaient pas – ou très peu, ou pas assez – parler avec l’utilisateur final. Remarquez, ça n’a pas beaucoup changé. Quand vous envoyez un message au centre support de Salesforce, une solution CRM qu’il est pourtant difficile de ne pas trouver remarquable – il ne faut pas vous attendre à une réponse correcte, rapide et  dans un français impeccable. Conséquence : si les éditeurs logiciels ont compris qu’il était nécessaire d’investir dans le support après-vente, ils ont surtout opté pour une stratégie radicale : faire en sorte de recevoir le moins d’appels possibles. Et pour cela, il leur a fallu complètement repenser le concept même de logiciel. 

D’ailleurs, ils ne parlent plus de logiciel, mais de solution. Sur leur site web, ils ne parlent plus de leur produit, mais des usages et des bénéfices. Ils sont orientés clients. Un concept tarte-à-la-crème ? Pas du tout. A l’usage, les logiciels SaaS (pardon, les solutions SaaS, et voyez comme le mot SaaS lui-même, Service as a Software, correspond bien à l’idée qu’on est dans le service client, et que le software ne vient qu’en deuxième position) sont agréables à utiliser. Conviviales, ergonomiques, intuitives, pensées pour être utilisées sans le fastidieux mode d’emploi. 

Tenez, justement : le guide utilisateur, parlons-en. Quelle différence entre avant et après le SaaS ! Avant? Un pavé indigeste, au format papier ou sur CD-ROM, écrit en petits caractères, rédigé par un ingénieur qui écrivait comme on pisse du code, c'est-à-dire au kilomètre et sans se préoccuper d’être compris. Aujourd’hui, il n’y a plus de manuel. Le système doit être compréhensible sans assistance. On ne doit se référer à l’aide en ligne que pour les usages les plus originaux. 

C’est ainsi que les éditeurs SaaS ont gagné le match face aux produits On premise. Comment mieux convaincre un décideur de la pertinence de votre offre qu’en la lui mettant dans les mains, pendant une période test, sans accompagnement ? Imaginez-vous les SAP ou JD Edwards en faire autant à la grande époque ? 

En somme, les éditeurs ont appris à devenir de bons marketers. Ils n‘ont plus peur de communiquer, au point d’afficher leurs tarifs en ligne. Qui s’en plaindrait ? Pour autant, le combat n’est pas terminé, car succès oblige, les éditeurs SaaS découvrent les impératifs du service clients. « Dans le Cloud, on ne peut pas se désintéresser du client une fois le contrat signé, car l’abonnement est réglé chaque mois », témoigne Christophe Pierret, Directeur technique de SideTrade, dans un article LeMagIT. « Si le client n’est pas content, il peut envisager de résilier son abonnement ». Même dans le monde du SaaS, surtout dans le monde du SaaS, il faut fi-dé-li-ser. L'étape suivante, sans doute.


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* On premise : logiciel acheté et installé sur les postes utilisateurs. SaaS : logiciel utilisé en ligne, sans installation, et payé soit sous forme d’un abonnement, soit à l’unité consommée. 
 
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2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Merci pour cet article très intéressant qui nous remet à jour sur les solutions SaaS.
    Si je suis convaincu de l'intérêt de ces solutions dans certains, je me demande souvent si elles sont aaptées aux PME. Vous l'avez dit, ces "logiciels" sont souvent très complets. Pour autant, si le manque de fonctionnalités peut être un problème, la surabondance l'est aussi (cf votre exemple sur les ERP).
    J'ai l'impression que la transition est en marche pour adapter les solutions SaaS au plus près des besoins utilisateurs, mais qu'elle n'est pas tout à fait terminée, ce qui rend les logiciels parfois difficilement accessibles aux PME, et plus encore au TPE.

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  2. @Boris C'est le problème de toute offre packagée - le packaging est l'une des caractéristiques du SaaS. Moins l'offre est personnalisable, moins elle colle aux besoins, plus elle demande au client de s'adapter. C'est la contrepartie d'un prix raisonnable. En cela je pense qu'une véritable offre SaaS, bâtie dès le départ comme telle, est davantage destinée aux TPE/PME, parce que le prix en est plus accessible et que les petites entreprises sont les plus agiles. En revanche, je vous rejoins pour ce qui est des logiciels anciennement on site, qui ont du mal à faire un compromis clair entre l'exhaustivité fonctionnelle et la dimension économique.

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